Amnésies ivoiriennes…
(extrait d'un Petit courrier de mai 2005 à l'ensemble des formations et principales personnalités politiques de France et de Navarre...).
Je sais bien que, par les temps qui courent, une information tonitruante chasse l'autre : la réélection de George W. Bush, un tsunami dans l'Océan Indien, la mort du pape, celle de Rainier de Monaco… Qui se souvient encore des pleurs de la petite Charlotte (1), qu'un procureur de la République, flanqué d'une escouade de gendarmes, tentait d'arracher à ses grands-parents, au beau milieu d'une école maternelle, ou de ces deux fillettes, en Une de Paris-Match, sur le point de quitter leur Côte d'Ivoire natale – leur vrai pays – et attendant un hypothétique avion censé les ramener vers un pays qui leur était étranger ?
Images tragiques, poignantes, images de la barbarie… Mais il y a plein d'autres images, je pense à cette famille récupérée par un hélicoptère militaire, ou encore à ces deux figures fantomatiques, quelque part en Côte d'Ivoire : le magasin qui brûle est peut-être une librairie, à en juger par les papiers jonchant le sol ; les deux barbares – on imagine les risques pris par le photographe qui a volé ces images ! – s'enfuient à toutes jambes…
Le voilà condamné à vivre comme une bête
Jusqu''à ce qu'il... vire la bête qui sommeille en lui !
Jusqu''à ce qu'il... vire la bête qui sommeille en lui !
Les vers sont du poète alsacien René Schickele, lequel se trompe quelque part, et nous avec lui, lorsque nous assimilons systématiquement la barbarie à l'animalité : les animaux ne sont jamais barbares, eux !
Quant à Laurent Gbagbo, cet immonde salaud, de l'avis de certains, l'homme a probablement de nombreux défauts, mais tout de même ! Je me suis vaguement souvenu d'une interview, lue je ne savais trop où… Et voilà qu'en plein déménagement, je feuillette mécaniquement la montagne de journaux que je m'apprête à mettre à la poubelle, lorsque je tombe sur l'article en question (3).
J'en extrais cet échange :
– Question : Vous avez également décidé de renforcer vos liens avec l'Orient ?
– Laurent Gbagbo : La Côte d'Ivoire doit s'orienter vers les courants où circulent l'argent : le monde arabe, l'Asie. J'ai effectué une visite officielle en Chine, et l'émir du Qatar vient bientôt à Abidjan. C'est avec cette optique "d'ouverture" qu'une section dans laquelle on pourra apprendre le chinois, le japonais et l'arabe va bientôt être créée au sein de l'université d'Abidjan.
Et c'est là que je saute au plafond ! Voilà donc un président ivoirien, que l'on dit otage de fondamentalistes chrétiens (dont sa propre épouse), et qui prend l'initiative de s'ouvrir vers le monde arabo-musulman ; et c'est à ce moment-là que de prétendus insurgés musulmans du nord – dont le chef de file est un certain Guillaume Soro, comme quoi, on trouve de tout en Côte d'Ivoire, même des "musulmans" prénommés Guillaume ! – décident de lui mettre des bâtons dans les roues ?! Et là, on se dit : "cherchez l'erreur !"
Mais au fait, comment se fait-il qu'à ce jour personne ne soit en mesure de nous dire quelle usine (européenne !) a fabriqué les pistolets mitrailleurs qui arment la rébellion, et surtout, qui a signé le chèque !?
Vu à la télévision : une émission d'Emmanuel Chain sur M6 (12. 11. 2004). Un des invités est un Français rapatrié de Côte d'Ivoire. Quand on lui demande qui étaient ces "patriotes" qui ont donné la chasse aux Européens, il a cette réponse : "les patriotes, c'étaient des catholiques !" et comme s'il avait peur de n'avoir pas été assez clair, il enfonce le clou : "les voyous, c'étaient des catholiques !"
Voilà, entre autres choses, ce à quoi ont servi la colonisation et l'évangélisation des peuplades barbares et arriérées d'Afrique, comme on disait à l'époque, auxquelles il fallait absolument apporter la Bonne Nouvelle ! Pour mémoire, le Rwanda, le Liberia, la Sierra Leone…, avec leur cortège de guerres civiles et de génocides, comptent parmi les pays les plus occidentalisés – donc les plus christianisés – d'Afrique.
Á l'automne dernier, en pleine effervescence "anti-Blancs" en Côte d'Ivoire, j'ai adressé un courrier à une "star" africaine fort prisée des médias français, pour m'étonner qu'elle et ses collègues choyés par radios, télévisions et presse écrite observent un silence aussi assourdissant, au moment même où des barbares déshonoraient l'image de notre continent. En guise de réponse, j'ai eu droit, sur mon répondeur téléphonique, à une espèce de salmigondis informe de langue de bois qui m'a laissé pantois. Le fait est qu'aucun Africain connu n'est monté au créneau pour dénoncer les exactions commises contre les "expatriés" de Côte d'Ivoire ; il est vrai que, lors d'autres exactions, y compris le génocide rwandais de 1994, nos fameuses "stars" rasaient déjà les murs !
L'Afrique Noire est mal partie, claironnait René Dumont en couverture d'un célèbre pamphlet. Pour ma part, j'ai toujours trouvé ce titre parfaitement stupide ; Dumont aurait mieux fait d'écrire : "L'Afrique civilisée par les Européens est mal partie !".
Encore plus stupide, mais nettement plus racoleur – j'allais dire "vendeur", mais faut-il s'en étonner ? – le fameux "Négrologie" de ce prétendu spécialiste de l'Afrique au journal Le Monde. Je ne me souviens pas d'avoir lu une seule ligne du même tonneau, de la part de M. Stephen Smith, sur l'ignominie que fut l'Apartheid en Afrique du Sud ! Les marchands de formules faciles, à l'instar de M. Smith, ne connaissent visiblement de l'Afrique que les négresses en jupette juchées sur des tabourets, dans les "bars pour Blancs" de Douala, de Lagos, Kinshasa, Libreville et d'ailleurs !
J'inviterais volontiers certains "négrologues" (4) et autres pseudo-experts à bien regarder les images du rallye Paris-Dakar à la télévision, par exemple, et de compter les uniformes apparaissant dans le champ des caméras : sur 3.., 4…, 5000 km de pistes africaines, on ne voit pas un seul uniforme. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'endroits au monde où les signes de la puissance étatique sont aussi peu visibles qu'en Afrique ! (5) Que ceux qui en doutent fassent un petit voyage entre Sahara et Kalahari ! Il suffit de considérer toutes ces populations : Dogons, Massaïs, Pygmées, Peuhls, Ndebele, Nuers…, qui sont l'âme même de l'Afrique, la vraie, pas celle frelatée par une soi-disant "civilisation", peuples réfractaires à toute "inculturation" (6) car farouchement accrochés à leur culture et à leurs traditions (7), et dont les langues continuent de tout ignorer de vocables comme "dictature", "corruption" , "coup d'État" ou "génocide".
Pour mémoire, le Rwanda, champion du monde du génocide le plus rapide de l'histoire, est le pays des mille collines, mille couvents, des monastères, en veux-tu, en voilà !, des bonnes sœurs comme s'il en pleuvait, des "traditions" entièrement façonnées par les missionnaires belges, bref, le pays le plus christianisé du continent !
Cela dit, quand on voit l'état de délabrement dans lequel se trouvent les rapatriés de Côte d'Ivoire, on se demande pourquoi la communauté internationale n'exige pas de ce pays un dédommagement complet des dégradations infligées aux expatriés… Il est vrai que d'autres, expatriés ou non, ont subi des "dégradations" bien plus graves, je veux parler des morts ! Condamner la Côte d'Ivoire à réparer les exactions de ses "patriotes" constituerait incontestablement un avertissement à l'égard des barbares ivoiriens, dès lors que ce sont leurs impôts qui devraient servir à réparer les dégâts, ce qui devrait avoir un effet dissuasif, y compris dans d'autres pays qui pourraient être touchés par la contamination. Ce ne sont pas les exemples qui manquent.
Parenthèse, à propos de la Côte d'Ivoire : dans des temps pas si lointains que ça, lorsqu'un Dan rencontrait un Gouro (Dan et Gouro étant un peu comme Corses du Sud et Corses du Nord), il était d'usage qu'ils se livrassent à une joute oratoire de ce type :
– Viens donc par ici, sale Dan, que je t'écrabouille !
– Prends garde à toi, espèce de sale Gouro !
– Je vomis ta sale race, espèce d'immonde Dan !
– Et moi j'exècre ton infâme clan, espèce de sale Gouro !
Et ainsi de suite, jusqu'à ce que les deux protagonistes tombent dans les bras, l'un de l'autre, dans un immense éclat de rire, le tout sous le regard médusé des "non initiés".
Les anthropologues appellent cela des "relations à plaisanterie" : des blagues rituelles à l'apparence agressive mais parfaitement inoffensives. Parce que, dans l'Afrique ancestrale, non encore civilisée par les "Toubaabs", on se faisait rarement la guerre (avec une lance ou une sagaie, on ne tue pas grand monde !) ; les mots "dictature", "génocide", "corruption"… n'avaient aucun sens ; ce n'était, certes, pas le paradis, mais je défie quiconque de me dénicher la traduction de "génocide" dans un dictionnaire fang, wolof, haoussa, baoulé, dioula, ou autre ! (8) Il y avait bien quelques guerres villageoises (le concept de guerre tribale étant une pure connerie, parce que, pour qu'il y ait guerre tribale, il faudrait d'abord qu'il y ait des armées tribales, ce qui est une vue de l'esprit ! La société traditionnelle (je parle bien de la tradition, pas des chefferies et autres sultanats d'importation) africaine est d'essence villageoise, chaque village étant constitué comme une véritable petite république. La meilleure preuve de ce que j'avance nous est fournie par la situation actuelle du continent : regardez les États organisés selon le modèle occidental, d'une part, et regardez les sociétés (Massaïs, Dogons, Peulhs, Dinkas, Nuers, etc.) qui ont réussi à se préserver de toute contamination : chez ces dernières, il n'y a ni guerres, ni coups d'État, ni génocides…
En un mot comme en cent : l'Afrique qui patauge dans le caca, c'est l'Afrique civilisée par les Européens : en 1994, le Rwanda était l'un des pays les plus christianisés du monde !
Et voilà qu'on nous annonce de grands concerts pour la levée de la dette extérieure des pays africains, ces pays toujours endettés, sans qu'on sache trop où est passé l'argent ! Autre chose : quelqu'un peut-il me dire ce que coûte, par exemple, à un pays comme le Burkina Faso, d'entretenir plus d'une centaine d'ambassades à travers le monde ? Mais où diable les pays dits pauvres trouvent-ils l'argent pour entretenir tout ce personnel diplomatique ?
Mais je n'oublie pas les armées : un seul pays du Tiers-monde, le Costa Rica, a renoncé à tout budget militaire, il y a plus de cinquante ans. Ce qui fait que ce pays, non seulement n'a pas connu le moindre coup d'État militaire en un demi-siècle, mais encore, aucun pays voisin n'a été tenté de profiter de cette vulnérabilité présumée, ce qui me fait toujours penser à ce commentaire du commandant Cousteau, décrivant les Galapagos :
Sur ces îles, il n'y a pas de prédateurs ;
Les animaux ne connaissent pas la peur ;
Le désarmement, c'est la paix !
Les animaux ne connaissent pas la peur ;
Le désarmement, c'est la paix !
Ça tombe bien, ou mal : "On estime à 100.000 le nombre d'armes individuelles encore en exploitation en République Centrafricaine." (entendu à l'instant, sur RFI, le 28 juin 2005).
Question à un milliard d'euros : les bons samaritains, qui prétendent voler au secours de l'Afrique en la soulageant de sa dette extérieure, ont-ils exigé de ces Etats, par exemple, qu'ils renoncent à toute course aux armements, voire prennent exemple sur le Costa Rica ? Parce que, s'ils ne l'ont pas fait, alors peut-être est-ce parce que la levée de la dette va inévitablement relancer les commandes, d'armes, par exemple ! Le fait est que les guerres endémiques qui recouvrent la quasi-totalité du continent africain font vivre pas mal d'entreprises, et pas uniquement les usines Kalashnikov !
Donc, la simple levée de la dette, c'est bidon ; tout le monde l'aura compris !
Parce qu'il y a aussi le Sida, qui ne connaît pas de frontières, bon nombre de migrants africains se rendant en Europe dans l'espoir de faire soigner leur Sida. Vous parlez d'une bombe à retardement !
Je reposerai la question stupide de tout à l'heure, mais autrement : a-t-on seulement demandé aux pays, dont on allait lever la dette, de mettre en place un échéancier : comme contrepartie à la levée de la dette, ils mettraient en place une véritable politique de démilitarisation + éducation + santé publique, notamment fourniture aux populations de préservatifs à des prix abordables (dans le contexte africain, ça veut dire un demi-centime d'euro le préservatif) ?
Fin de l'extrait de mon "Petit courrier"...
[1] (Mention obsolète...)
[2] Schickele (René), écrivain alsacien d'expression allemande (Oberehnheim, Alsace, 1883-Vence 1940). Traducteur allemand de Flaubert, influencé par Maeterlinck, poète et romancier (L'Étranger, 1909), son œuvre témoigne de son intention de faire de l'Alsace une terre de conciliation entre les cultures allemande et française. Grand Usuel, Larousse, Dictionnaire Encyclopédique. In Extenso, 1997.
[3] Mensuel Divas, Paris, n° 29, juin 2002, p. 13.
[4] Ce sont ces mêmes "négrologues" imbéciles qui nous bassinent régulièrement à coups de : " Vous avez vu l'hécatombe que le sida est en train de provoquer en Afrique ?", pour affirmer, dans la phrase suivante, ou à peu près :"Vous avez vu la démographie galopante en Afrique ? Dans 50 ans, ils auront rattrapé la Chine ; il faut faire quelque chose !".
[5] Par Afrique, j'entends bien l'Afrique profonde et non les anciens comptoirs coloniaux que sont les villes, dont les plus importantes, comme par hasard, sont, toutes, localisées à la périphérie du continent.
[6] Où trouve-t-on, aujourd'hui, des aborigènes non encore contaminés par la "civilisation" sinon en Afrique noire ?
[7] Nous habiller !, déclarait un vieux Nuer à Leni Riefenstahl, et puis quoi encore ? Serions-nous à ce point horrifiés de notre propre corps pour le dissimuler aux regards ?
[8] Dans ma propre langue maternelle, "soldat" se dit tantôt "sozè" (déformation de l'anglais "soldier"), tantôt "gorè", par référence à l'île de Gorée, de sinistre mémoire. Dans mon ethnie, les gens ne se faisaient pas la guerre, ou alors, très mal ; il n'y avait donc pas de soldats, donc pas de mots pour les désigner ! Allez raconter ça à tous ces rigolos qui se représentent l'Afrique comme un continent belliqueux et corrompu !